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Cimetière russe de Sainte Geneviève des bois
26 août 2019

Sainte Genevieve des Bois - Quelques histoires de Vie

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Extrait du Courrier de Russie    Juin 2012

Vera Obolensky : la princesse-je-n’en-sais-rien

Vera Obolensky (1911-1943), résistante russe morte pour la France.

Vera Obolensky a été guillotinée le 4 août 1944 à la prison de Plotzensee, à Berlin. 80 marks et 8 cigarettes – ce fut la rémunération du bourreau et de ses assistants pour cette exécution. 18 secondes écoulées entre le moment où la condamnée fut allongée sur la guillotine et celui où sa tête fut tranchée, consignèrent dans leur rapport les employés de la prison. Vera Obolensky avait été condamnée à mort pour sa participation aux activités de l’Organisation civile et militaire (OCM), un des groupes de la Résistance française.

Son fondateur, Jacques Arthuys, ancien combattant de la Grande guerre indigné de la trahison du gouvernement de Vichy, mit en place, dès janvier 1941, ce réseau de militants antinazis qui s’occupèrent, jusqu’à la Libération, de recueillir des informations secrètes et de les faire parvenir en Angleterre. L’OCM a également aidé de nombreux Juifs à fuir la France. Vera Obolensky, au sein de l’OCM, était en charge de toute la coordination – elle avait, avant guerre, travaillé comme assistante personnelle de Jacques Arthuys. Jeune femme d’une grande beauté, fille d’un ancien vice-gouverneur de Bakou et épouse du prince Obolensky, Vera mena, avant les années 1940, une vie tout à fait digne d’un roman de Fitzgerald. Soirées dansantes, restaurants chics, vacances à la mer parmi les membres de la plus haute aristocratie russe : l’époux de Vera, Nicky, heureux propriétaire de quelques immeubles à Nice, fut un des rares émigrés à n’avoir jamais connu de difficultés financières. Ses amis plaisantaient sur le fait qu’il était le seul de la bande à pouvoir voyager en taxi, soit à ne pas être contraint d’en conduire un.

Vie de paillettes à laquelle Vera renonça cependant sans regret dès que les nazis occupèrent Paris. Son patron Arthuys lui ayant proposé de rejoindre l’OCM, la jeune femme alors âgée de 29 ans accepta sans hésiter. Pas plus que son mari. Jusqu’à son arrestation en décembre 1943, Vera – Vicky pour les compagnons – servit d’agent de liaison entre les membres du groupe ; elle recueillait leurs rapports et entretenait les correspondances secrètes. Elle devint rapidement célèbre pour sa mémoire phénoménale : jamais elle ne prenait note d’aucune adresse, nom ou mot de passe. Entre-temps, son mari avait rejoint l’Atlantique où les travailleurs forcés construisaient des fortifications pour empêcher une invasion des Alliés. Le prince Obolensky s’engagea auprès des cadres du Service du travail obligatoire comme traducteur, ce qui lui permit de subtiliser les plans de ce Mur de l’Atlantique et de les faire passer outre-Manche. Pendant que l’OCM travaillait jour et nuit à rapprocher le jour de la Victoire, la Gestapo, de son côté, s’attelait à démanteler la Résistance.

Arthuys fut arrêté et mourut dans un camp. Son successeur, le colonel Touny, qui aimait à promener chaque soir son teckel sous les fenêtres de la police allemande, subit le même sort. Les époux Obolensky furent également interpellés. Vera subit d’interminables interrogatoires, s’ingéniant à inventer toutes sortes d’histoires improbables pour protéger ses camarades de lutte. Les juges d’instruction, impressionnés par l’agilité de cet esprit, la surnommèrent entre eux la « princesse-je-n’en-sais-rien ». Vera ne fut pas torturée ; Sofia Nosovitch, son amie et compagne d’armes au sein de l’OCM, le fut. Les juges plongeaient la femme nue dans une baignoire remplie d’eau glacée, la maintenaient sous l’eau quelques secondes, la faisaient remonter, et recommençaient… Quand le verdict fut prononcé, Sofia demanda grâce et l’obtint. Vera, par orgueil, refusa d‘implorer. Sofia fut envoyée dans un camp de travail d’où elle ressortit vivante ; Vera – exécutée. Le prince Obolensky, de retour de Buchenwald, écrivit un livre sur sa femme. Et jamais ne se remaria. Dans son grand âge, il se fit prêtre à la cathédrale Saint-Alexandre Nevsky de la rue Daru – la même où, en 1937, il avait épousé Vera. Le corps de cette dernière ne fut jamais retrouvé. On honora sa mémoire par l’installation d’une plaque dans le cimetière de Sainte-Geneviève des Bois.

Inna Doulkina

Zinovi Pechkoff, légionnaire

 Alekseïevitch Pechkov ou Pechkoff (en russe : Зиновий Алексеевич Пешков, 1884 -1966) était un général et diplomate français d’origine russe, ainsi que le frère aîné du révolutionnaire et homme politique russe Iakov Sverdlov

Curieusement, personne n’a encore eu l’idée de faire un roman de la vie de Zinovi Pechkoff – frère du révolutionnaire Yakov Sverdlov, protégé de Maxime Gorky, conseiller de Wrangel, combattant des deux guerres mondiales, ami de Charles de Gaulle et ambassadeur de France à Tokyo. Ce n’est pourtant pas la matière qui fait défaut. Né en 1884 dans une famille juive de Nijniï Novgorod, celui qui est encore Zalman Sverdlov passe ses journées dans l’atelier de gravure de son père – qui, à ses heures perdues, imprime encore des tracts révolutionnaires.

Zalman, impliqué, est arrêté, et croise en cellule le futur grand écrivain soviétique Maxim Gorki. Les deux hommes se lient rapidement d’amitié. Zalman a 18 ans à l’époque, Maxim en a 34. À sa sortie de prison, Zalman suit Gorki en exil à Arzamas où, lors d’une soirée littéraire, il s’amuse à lire à haute voix un fragment de la pièce de son ami, Les Bas-fonds. Il se trouve que rôde aussi dans les parages Vladimir Nemirovitch-Danchenko, metteur en scène éminent. Le fondateur du Théâtre d’art de Moscou, décelant chez Zalman un don artistique, l’invite à rejoindre sa troupe. Zalman est ravi. Mais il est Juif – et ne peut accepter. Sa religion et la loi russe s’accordent au-moins là-dessus : les Juifs n’ont pas le droit de jouer dans les théâtres russes. Gorki insiste, pousse le jeune homme et lui vient en aide – il devient son parrain et le fait baptiser. Désormais, toutes les portes peuvent s’ouvrir à… Zinovi. Zalman n’existe plus.

Le geste du jeune homme est, dit-on, très peu apprécié de son géniteur – qui le maudit. Mais c’est le genre de bagatelles qui ne peuvent arrêter l’ambitieux Zinovi. Il s’en va brûler les planches – qui cèdent sous ses pieds. Sur scène, Zinovi, pris d’une timidité maladive, ne peut prononcer une parole. Il ne se laisse pas abattre : les contrées lointaines l’attirent irrésistiblement et le jeune homme se lance dans un périple à travers le Canada, les États-Unis et la Nouvelle Zélande. Totalement démuni, il gagne sa croûte en travaillant comme ouvrier et couche dans des asiles pour miséreux. En 1907, il débarque sur l’île de Capri, où s’est installé son père adoptif. Zinovi passe quatre ans chez Gorki, où il croise tous les futurs membres du gouvernement bolchévique, dont Lénine. En 1911, Zinovi tombe amoureux de Lidia Bourago, fille d’un riche industriel russe également installé en Italie. Cinq jours après s’être aperçus pour la première fois, les jeunes gens se marient. La même année naîtra Elizaveta Pechkova, fille unique de Zinovi. Elizaveta épousera par la suite un espion soviétique et viendra vivre en URSS – où son mari sera fusillé et où elle fera 19 années de camp. Libérée en 1956, elle ira vivre à Sotchi où elle épousera un camionneur et travaillera comme surveillante de plage. Elizaveta ne reverra jamais son père – offensé par son évasion, il aura laissé toutes ses lettres sans réponse.

Mais nous ne sommes qu’en 1911. Zinovi voyage aux États-Unis, puis accoste en France, où la Grande guerre le surprend. Il s’engage immédiatement. Le 9 mai 1915, il est gravement blessé lors d’un combat près d’Arras. Les infirmiers, le jugeant condamné, refusent de l’évacuer du champ de bataille : un jeune lieutenant s’en mêle et ordonne aux brancardiers d’emporter malgré tout ce soldat agonisant. Le lieutenant – son nom est Charles de Gaulle – rend visite à Zinovi à l’hôpital. Ce dernier y laisse un bras mais en retire une médaille, la nationalité française et l’amitié du plus grand homme français du XXèmesiècle. Dès lors, sa carrière connaît un essor vertigineux. Zinovi devient diplomate. En 1917, il se rend en Russie dans le cadre d’une mission diplomatique française. La légende veut qu’il ait rencontré à Moscou son frère Yakov, révolutionnaire ardent – un des futurs initiateurs de la fusillade de la famille impériale. L’un des deux frères aurait refusé de serrer la main de l’autre – mais on ne sait toujours pas qui l’a tendue le premier.

Les bolcheviques ayant pris le pouvoir, la guerre civile éclate – et Zinovi rejoint Koltchak en Sibérie, puis Wrangel en Crimée. En 1919, il fait parvenir à son frère « rouge » ce télégramme : « Yachka, quand nous aurons pris Moscou, pour tout ce que vous avez fait de la Russie, le premier que nous pendrons sera Lénine ; et tu seras le deuxième. » Mais Moscou ne sera jamais prise et Zinovi rejoindra la France dans le dernier navire au départ de la Crimée. Pendant l’entre-deux-guerres, Zinovi se met au service de sa deuxième patrie en intégrant la légion étrangère, au Maroc ; lorsque la Deuxième guerre éclate, il est condamné à mort par le régime de Vichy pour refus d’obéissance. En attendant d’être fusillé dans sa cellule, Zinovi réussit à convaincre un geôlier de lui fournir, en échange de sa montre en or, une grenade.

Déjà en position face au peloton d’exécution, Zinovi prend en otage un commandant à qui il ordonne qu’on le conduise à l’aérodrome le plus proche. Le premier avion qui décolle l’emmène à Gibraltar où il retrouve de Gaulle… À l’issue de la guerre, Zinovi, promu général, poursuit une brillante carrière diplomatique : ambassadeur de France en Chine, puis au Japon. Zinovi Pechkoff meurt en 1966 à l’âge de 82 ans. C’est un régiment français qui a porté son cercueil en terre. Sur la pierre tombale, conformément à la volonté du défunt, une seule inscription : Zinovi Pechkoff, légionnaire.

Inna Doulkina

Nadejda Teffi : « Gens-qui-rient, gens-qui-pleurent »

 Teffi (1872-1952) occupe une place à part au sein de la littérature russe. Elle s’était déjà fait une petite notoriété en Russie avant la Révolution en tant que poète et auteur à tendance satirique.

Pleurer de rire, rire d’avoir trop pleuré, essuyer ses larmes d’un revers de mots et d’humour. Le remède de Nadejda à la vie, c’est l’ironie, la conscience que tout de même, tous les événements que nous traversons ont en eux autant de comique que de tragique.

« Il y a des jours d’ivresse dans l’histoire d’un peuple. Il en a besoin pour survivre. Mais vivre précisément ces jours-là, c’est impossible. » Ainsi l’écrivaine explique-t-elle sa fuite lors de la Révolution de 1917, alors même que ses frémissements l’avaient d’abord enthousiasmée. « Je voulais vivre, aimer et travailler à Kiev », poursuit-elle dans ses mémoires. N’ayant pas supporté l’arrivée au pouvoir des bolchéviques, la faim, la détresse et la peur l’ont portée jusqu’à Odessa, Istanbul – pour atterrir finalement à Paris, en 1919. Fille d’un aristocrate pétersbourgeois apprécié de ses pairs et d’une mère française aux idées libérales, sœur d’une poétesse deux fois lauréate du prix Pouchkine, Nadejda est rapidement devenue, après ses premiers succès en Russie en 1910 et 1911 et avec la parution de ses nouvelles dans les revues Satiricon et Russkoe Slovo, une égérie de la diaspora russe en France.

Si Nadejda était encore en vie, peut-être dirait-elle : « Surtout, ne m’enterrez pas là-bas ». Là-bas, dans le cimetière russe. Là-bas loin de chez elle. L’exil, Nadejda en parle dans ses romans. Toujours elle espéra qu’il prendrait fin un jour, toujours elle souhaita rentrer sur ses terres natales, celles de Pétersbourg, celles où elle naquit en 1872. Mais l’exil a duré trente ans de vie, et s’est encore prolongé dans la mort – qui l’a frappée en 1952, à Paris.

« Tout ceci, Mesdames et Messieurs, est certes parfait. Mais que faire ? Que faire… », déclare l’un de ses personnages, général exilé à Paris, qui s’extasie, sur la place de la Concorde, devant tant de richesses et de beauté. Que faire si ce n’est abandonner le combat pour mieux en rire ? Les personnages de Nadejda sont des humains ordinaires, des « monsieur-tout-le-monde », à qui il échoit des destins dramatiques.

Pourtant la légende veut que, pour le 300ème anniversaire du règne des Romanov, le tsar Nicolas II, à qui l’on avait demandé ce qu’il souhaitait voir entrer dans sa bibliothèque à cette occasion, ait déclaré promptement : « un Teffi ! ». Raspoutine aurait quant à lui tenté de faire de l’écrivaine sa maîtresse – en vain…

La plupart des récits de Nadejda se situent entre rêves et réalité, elle use de son talent d’observatrice pour toucher au cœur, et elle voit juste : il en ressort des atmosphères ambigües rappelant les romans de Tchekhov ou Nabokov, un humour élégant et un regard limpide.

« L’âme russe aime le merveilleux et tout ce qui s’y rapporte : les pressentiments, les signes, les songes », affirmait encore Teffi. Sa plume donne vie à ce merveilleux – dans une valse enivrante rythmée d’anecdotes à la française.

Nina Fasciaux

Dina Kirova, « l’ingénue comique »

Dina Kirova (1886-1982), actrice russe en France

Dina Kirova était partie de rien ou presque. Orpheline née en 1886 à Ostachkov dans la région de Tver et qui gagnait trois sous en faisant des numéros de rue avec d’autres gamins, elle est devenue, dans les années 20 et 30 du siècle dernier, une véritable star du théâtre russe à Paris.

D’autres s’étaient cassé les dents en essayant de monter à Paris un théâtre russe – comme Fiodor Komissarjevskiï ou Iouri Ozarovskiï qui, après avoir présenté quelques pièces et le succès ne venant pas, ont été contraints d’abandonner. Dina Kirova, quant à elle, se lance au bon moment – après une expérience déjà longue des planches. L’amour pour le théâtre lui était venu à douze ans, quand elle était allée à Saint-Pétersbourg voir jouer sa sœur, comédienne dans une des troupes de la capitale. Dina était ressortie, dit-on, en hurlant à qui voulait l’entendre : « Je serai une artiste ! Je serai une artiste ! ». Elle débute, au théâtre de Pavlovsk, avec des rôles d’enfants dans de petites pièces…

De petite taille, « assez jolie mais pas trop » – selon les critiques de l’époque –, la jeune femme a un jeu qui marque immédiatemment les esprits – gaieté, voix sonnante, dynamisme. On la classe rapidement parmi les « ingénues comiques ». Après avoir joué aux côtés de stars comme Vera Komissarjevskaïa, Konstantin Varlamov ou Olga Sadovskaïa, elle foule finalement les planches du théâtre Souvorine de Saint-Pétersbourg, dont elle intègre la troupe de 1908 à 1917. L’instauration du nouveau régime la poussera à émigrer, en 1920, en compagnie de son mari, le prince Kossadine-Rotovskii. Après trois ans de résidence en Serbie, ils rejoignent Paris.

Pour elle, c’est un nouveau départ. Désormais, elle ne joue plus mais monte des pièces, en russe, pour la communauté émigrée. Le succès est immédiat. Après avoir organisé des spectacles à Meudon de 1927 à 1933, elle investit les 3 000 francs issus de la vente de ses chapeaux tricotés main pour ouvrir son « Théâtre intime », rue Campagne-Première à Paris. Là, l’intelligentsia russe accourt et, en six ans, 140 de ses spectacles affichent complet. Au menu : Ostrovskii, Tchekhov, Dostoïevksi mais également des dramaturges de l’émigration – comme Ilya Sourgoutchev – qui tournaient parfois en comédie le quotidien des déracinés – les Russes pouvaient rire de leurs propres malheurs. Le quotidien de l’émigration Poslednye novosti (« Dernières nouvelles ») note à l’époque : « Le succès de Kirova est dû à son talent et à son sens aigu des exigences spirituelles de l’émigration. L’atmosphère de son théâtre est basée sur ce sentiment de la communauté nationale. »

Dina Kirova s’était fixé dès le départ ses objectifs. Premièrement : ne pas laisser la jeunesse russe émigrée oublier sa langue, ses écrivains classiques, l’histoire, la vie quotidienne russes. Ensuite, tout un programme : donner aux artistes russes la possibilité de gagner leur vie en France ; découvrir de nouveaux talents de théâtre et de plume ; donner aux spectateurs, à tous les spectateurs, l’occasion de rire d’un rire russe, simple ; et, enfin, offrir à Paris un théâtre russe à la fois bon marché et de qualité. Après une dernière apparition sur scène en 1933 dans la pièce d’Ostrovskiï, Un vieil ami vaut mieux que deux nouveaux, Kirova vécut jusqu’à la fin de sa vie en France. Elle écrivit ses mémoires au cours d’une période de convalescence dans la maison de repos russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, en 1946. Morte en 1982, celle qui estimait que le théâtre était « son dieu » qu’elle « priait chaque jour » repose aujourd’hui dans le cimetière russe de la commune.

Maria Gorkovskaya et Benjamin Hutter

“Alexandre Alexeïeff, une vie épinglée” ?

Alexandre Alexeïeff (en russe : Александр Александрович Алексеев) (1901-1982), est un graveur, illustrateur et réalisateur de films d’animation français d’origine russe.

« Russe obscur » ou « illustre Français » : la France et la Russie ont chacune à leur manière façonné le destin d’Alexandre Alexeïeff, l’un des fondateurs du cinéma d’animation contemporain. Le futur créateur des Oranges de Jaffa et de La Sève de la Terre est né à Kazan en 1901, à l’aube de la Révolution, dans une famille noble.

C’est à la suite des événements de 1917 qu’Alexandre Alexeïeff décide de quitter la Russie -patrie qu’il espéra toute sa vie retrouver, en vain. Le voyage, il le passa comme matelot à bord d’un navire reliant Vladivostok à Marseille. Entre découvertes et épreuves, le jeune mousse s’échappait en lui, imaginant quelles couleurs il pourrait créer en associant divers pigments.

Arrivé à Paris en 1921, le jeune graveur se lance dans l’illustration de grands classiques russes, tels Gogol ou Dostoïevski. « Ses esquisses au style démodé et étrange reflètent à merveille, assurait alors le poète russe Boris Pasternak, l’esprit des œuvres illustrées. » Au début des années 30, Alexeïeff décide de se diriger vers l’animation. « À 30 ans, se souvenait-il plus tard, j’ai ressenti le besoin de me lancer dans quelque chose de nouveau, tel un artisan conscient de ses capacités, désireux de réaliser un projet qu’il aurait en tête. »

Celui qui considérait que « l’art n’existe que quand il contient une découverte » réalisa effectivement son rêve de « mettre en mouvement des images » en mettant au point, dès 1933, son procédé de l’écran d’épingles : un appareil constitué d’un écran blanc et de centaines de tubes permettant de créer des images mouvantes. Un premier court métrage Une nuit sur le mont chauve sur une musique de Moussorgski sera suivi, en 1963, d’un Nez inspiré du récit de Gogol. Ainsi l’artiste devenu français au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui aimait répéter que « la vie est courte mais l’art éternel » continuait-il de faire vivre les grands noms de sa culture russe originelle.

L’écran d’épingles n’aurait cependant jamais vu le jour sans l’aide de la compagne d’Alexeïeff, Claire Parker, une étudiante américaine qui participa à la réalisation de beaucoup de ses films. La mort de cette dernière bouleversa à ce point Alexandre Alexeïeff qu’il choisit de mettre fin à ses jours : il se suicida dans son atelier parisien le 9 août 1982.

 Thomas Gras

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